Olivier Aubry

Blanc falaise chemin rouge,2023. Huile sur toile, 195 x 130 cm

L’entre-deux, une utopie vue sous tous les angles 

Mon travail interroge le paradoxe d’un « non-lieu » intensément présent : celui de l’entre- deux. Je cherche à me situer (m’insituer ?) dans un dialogue (un aller-retour) entre abstraction  et  figuration,  entre  le  bord  et  le  centre  (du  tableau),  entre  volume  et  plan,  entre espace et territoire, entre dehors et dedans, entre tension et méditation, entre représentation et contemplation, entre occident et orient, entre yin et yang… L’interstice qui sépare et réunit les composantes de ces dualités est le terrain de jeu qui m’a toujours intéressé.

Héritier comme tant d’autres de la fascination des artistes pour le Japon, cette focalisation sur l’« entre-deux » me relit à l’esthétique extrême orientale où l’art du trait parle d’un intervalle entre le plein et le vide, ou l’ikebana traite de la circulation de l’air entre les fleurs. La rencontre artistique avec Tomomi Yano a poussé plus loin cette connivence au  travers d’une coopération symbiotique ou chacun offre à l’autre une condition essentielle de son œuvre. Dans mon cas, Tomomi m’offre ses yeux, c’est à dire la grande liberté artistique de ne pas avoir besoin de regarder pour voir.

Depuis 3 ans, ma démarche est une marche. Parfois une course, contre la montre du temps qui passe. En tous cas c’est un voyage, mais immobile et aveugle : plutôt que regarder, j’écoute le récit que me fait Tomomi Yano des lieux qu’elle visite. Ses analyses improvisées sont de véritables performances parlées dont l’univers sonore nourrit mon imaginaire, ma vision, mon geste graphique puis pictural. Mon regard écoute le sien qui parle. Elle me parle du Japon bien sûr, qu’elle a quitté par amour pour la France peu après ses 20 ans. Elle me raconte des lieux familiers mais qu’elle ne connait pas, des paysages intimes mais qu’elle n’a pas visité, car elle non plus ne se déplace pas : c’est au hasard qu’elle les choisit sur Google Earth, le lieu de tous les lieux.

Ainsi je travaille « à la dictée ». Mon protocole organise les errances japonaises vir- tuelles de ma complice, puis, à l’écoute de sa lecture subjective je produis une grande quantité de croquis rapides et spontanés (il y a urgence à garder trace de ces paysages qui n’existent que le temps de leur récit). La prise de note graphique est une synthèse du paysage raconté : un espace sous tous les angles tout à la fois, au même endroit et au même moment, en quelques traits, entre épure cubiste et estampe poétique ou le regardeur se perd de trop et de trop peu d’informations.

Dernière étape du protocole, je choisis un de ces dessins pour réaliser une huile sur toile, un intense monochrome résultant de la superposition d’épaisses couches de cou- leur accumulées aussi longtemps que la fraicheur de la peinture me permet d’y tracer un sillon, des graphes dans la matière colorée, sans repentir possible.

 

Olivier Aubry 2021

Expositions